NFTs :
VIVE LA REVOLUTION
par
Daniel Ichbiah
Lorsqu’une révolution survient, les plus agiles s’acharnent à la maîtriser et à l’intégrer dans leur panoplie. Etes vous prêt pour ce grand tourbillon culturel qui accompagne la révolution culturelle liée aux NFTs ?
L’art numérique avait-il franchi un point de non retour ? La question n’était pas vaine. La spoliation semblait ancrée dans l’ADN du digital. Copier et coller avaient fait son affaire à la notion même de propriété artistique.
Quel photographe, quel graphiste, quel compositeur n’avait pas eu le tourment de voir son œuvre récupérée, remixée, détournée ou déflorée ? Les cabinets d’avocats pouvaient paraître désespérés face à la tâche de faire valoir le droit du créatif devant l’océan des duplicatas ? En toile de fond, il y avait cette philosophie insidieuse ancrée dans « l’esprit du Net ». Sus aux marchands ! Tout devait être gratuit. Rien n’appartenait à personne. Servez-vous copieusement. Les journalistes à la petite semaine qui relayaient cette philosophie nihiliste n’avaient pas anticipé que ces diatribes puissent se retourner contre eux et les envoyer pointer plus vite que prévu chez Pôle Emploi.
Affolées, les maisons de disques avaient montré les dents. Souvent en vain. Les photographes avaient milité auprès de Google et consorts afin que le respect de l’œuvre puisse avoir droit de cité. Au final, quelques miettes avaient été reversées aux ayants droits.
Un code propriétaire indélébile
Et puis, une révolution est survenue. Sans crier gare. C’est au sein de la tortueuse épopée des crypto-monnaies que la notion de propriété a été ré-affirmée, comme une Excalibur vengeresse.
Sous des dehors faussement libertaires, Bitcoin et consorts ont posé quelques principes que certains avaient cru bon d’oublier, à commencer par la propriété inaliénable d’un actif. Et puis, un curieux sigle a pointé son nez : N-F-T.
NFT comme Non Fungible Token. Un terme abscons qui cache une réalité pourtant simple. En associant un code précis à une œuvre, les NFTs ont réussi à briser la malédiction de la copie illimitée. Une pièce est dite « non fongible » dès lors qu’elle a une personnalité unique. Un peu comme il ne viendrait à personne l’idée d’échanger, de façon banale, un croquis de Basquiat contre un autre du même artiste.
Que dit un NFT ? Que cette peinture, ce dessin, ce morceau de musique, cette animation est associée à un code unique, indélébile. Qu’importe si le fichier correspondant est copié. Il est possible d’en clamer l’unicité. Mieux encore, une fois qu’elle est acquise par un collectionneur, ce code indique cette appartenance pour des temps immémoriaux.
En associant à une œuvre un code unique, les NFT ont libéré les artistes du péché originel de l’univers numérique, qui rendait toute création copiable à l’infini.
Des Cryptokitties à Beeple
Tout a commencé avec un phénomène qui a en surpris plus d’un, les Cryptokitties, un jeu lancé à l’automne 2017 par Dapper Labs. Ses créateurs étaient partis d’un constat : le grand public ne comprenait pas grand-chose à l’univers des cryptomonnaies. Pourquoi ne pas rendre son accès plus doux en exploitant le mode ludique ?
Les Cryptokitties ont ainsi vu le jour autour de la monnaie Ethereum. Chacun de ces chats est unique. Il ne peut être reproduit, altéré ou même détruit. En élevant et en accouplant des Cryptokitties, on obtient de nouveaux chats, tout aussi uniques. L’engouement pour ces fêlins a été tel que durant plusieurs jours, le réseau Ethereum s’est retrouvé saturé. Les grands médias de type New York Times, Wired ou Forbes se sont fait écho de cette frénésie.
Au passage, Dieter Shirley, l’un des fondateurs de Dapper Labs a réalisé qu’il avait donné naissance à une nouvelle norme. Il en a établi les règles dans un document, ERC 721 et a défini au passage ce qu’est un NFT, soit une création numérique assortie d’un certificat qui la rend à jamais, unique et différenciable.
Et oui… Les NFTs ont introduit dans le monde du numérique un concept qui en était étranger, celui de la rareté. Et cette rareté a donné naissance à un nouveau marché de l’art.
Des œuvres comme Everydays de Beeple ou Clock de Pak ont trouvé acquéreur à des montants digne d’artistes comme Jeff Koons ou David Hockney. Par la magie des portefeuilles de cryptomonnaie qui rendent les échanges fluides et simplifiés, de telles créations ont accumulées des sommes en Ethereum comparables à des millions de dollars. Et les infernaux Cryptopunks, de curieux portraits réalisés à base d’un minimum de pixels ont suscité une vogue analogue aux collections de croquis d’un Dali ou d’un Andy Warhol.
Un marché colossal
Le marché est immense. Jugeons-en plutôt : sur la seule année 2021, les NFTs ont représenté un volume d’échange de 25 milliards de dollars. Vous avez bien lu. Autre signe de temps, fin décembre, le dictionnaire Collins a publié la liste des mots les plus recherchés de l’année sur son site. « NFT » est arrivé en tête.
Des artistes tels que la popstar Justin Bieber, le rappeur Eminem ou l’auteur de bandes dessinées Todd McFarlane, sont entrés dans la danse. La star de télévision Paris Hilton s’est frotté à cette nouvelle comedia dell arte tout en faisant preuve d’une étonnante précocité. L’actrice Gwyneth Paltrow, plutôt avare de ses tweets, a cru bon de passer par ce réseau social pour annoncer à ses fans qu’elle avait fait l’objet d’une représentation en Bored Ape – une collection de singes blasés autour de laquelle s’est agrégée une communauté d’afficionados. Le monde du sport n’est pas demeuré sur la touche : Shaq, l’ex star de la NBA, a lui-même fait réaliser son image sous la forme d’un Bored Ape.
Comme il se doit, les marques ont pris acte du phénomène : Gucci, Coca-Cola, Louis Vuitton, Balenciaga ou Universal sont quelques uns des noms éminents qui ont rejoint le carnaval. Issues d’un Eden parallèle, quelques passerelles se tissent dans ce nouvel air du temps. Le flacon Hennessy 8 a servi d’inspiration pour deux NFT de cette grande maison du cognac, et l’acquéreur s’est vu inviter à arpenter le domaine où s’épanouissent ces vignobles jadis contemporains de Louis XV. Lors de la FIAC 2021 à Paris, le parfumeur Guerlain a sponsorisé quatre initiatives artistiques dont une œuvre onirique et mutante de Constance Valero, avec reversement du pactole à un projet de biodiversité sur 28 hectares, de Yann Arthus-Bertrand.
Une constante préside à tous ces ralliements : le caractère débridé de toutes ces déviations artistiques. Mais pas seulement. Joe Lubin l’un des créateurs de la cryptomonnaie Ethereum et président de Consensys a eu ces mots :
« Nous sommes sur le point de renverser tout sens dessus dessous sur la planète Terre. Nous sommes sur le point de passer de l’ère du silo à l’ère des communautés. Les intermédiaires vont devenir plus vastes, plus précieux et plus efficaces. »
Pour la cause de l’art et du divertissement
Si pour le grand public, cette révolution paraît encore obscure, pour les artistes un vaste champ des possibles vient s’ouvrir. Les NFT séduisent les géants de la mode et du design. Pourquoi ne pas tester demain le modèle d’une tenue vestimentaire sous la forme d’un NFT. Et pourquoi ne pas le faire évoluer dans un des ces mondes imaginaires appelés à s’immiscer dans notre quotidien et que l’on appelle les métaverses ?
Les NFTs ont touché le monde de l’art mais pas que… Dans un jeu tel que Axie Infinity, un ersatz de Pokémon, ils offrent à des dizaines de milliers de joueurs la perspective d’un gagne pain : les bestioles dont on supervise les évolutions peuvent donner lieu au versement d’une monnaie, le SLP, échangeable en argent réel. Aux Philippines, cette activité est devenu une source de revenu pour une partie de la population. Ailleurs, comme avec Sorare on transforme les cartes de joueurs de football en NFTs et leur propriétaire voit le cours de ces pièces rares évoluer au gré des victoire des Ronaldo ainsi numérisés.
Si les acteurs du divertissement et de la mode ont été les premières à saisir l’opportunité, le champ d’exploration est grand ouvert. La capacité à associer aisément un certificat de propriété à une création fait rêver plus d’une entreprise. Quitte à mélanger allègrement le réel et le virtuel : dans de nombreuses ventes aux enchères, l’acheteur repart avec la possession de l’œuvre numérique mais aussi avec l’original peint sur la plus classique des toiles.
Une propriété artistique qui résiste à l’usure du temps
Là n’est pas tout. Les artistes voient émerger un mode de financement dont auraient pu rêver Modigliani comme Schubert. Une reconnaissance du droit du créateur qui ne prend pas fin à la première vente. Car les smart contracts (contrats intelligents) qui régissent les NFTs autorisent d’indiquer que, chaque fois qu’une œuvre est revendue, d’un collectionneur à un autre, l’artiste originel touche un pourcentage de cette transaction.
Certes, l’univers des NFTs est loin d’être parfait, et les plateformes de ventes telles que OpenSea ou Rarible ne peuvent échapper à la nécessité de traquer les contrefaçons et combines visant à gonfler artificiellement le cours d’une œuvre. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour.
Pour les créatifs, pour les agences de communication, et pour une foule d’acteurs du marché de la communication et du ludique, c’est un Nouveau Monde qui est en train de voir le jour. A chacun d’imaginer comment tirer son épingle dans cette galerie d’une échelle mondiale.
Daniel Ichbiah est l’auteur du livre best-seller « Bitcoin & cryptomonnaies pour les Nuls »